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Christine Lagarde
The President of the European Central Bank
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Un tournant pour la gouvernance

Discours de Christine Lagarde, Présidente de la BCE, à l’Académie des sciences morales et politiques, Paris

Paris, 4 décembre 2023

C’est un grand honneur de prendre la parole aujourd’hui dans le cadre de votre prestigieuse série de conférences consacrée à l’exploration des multiples aspects de la bonne gouvernance, sujet crucial en ces temps incertains et exigeants.

Je me réjouis particulièrement de m’adresser à des esprits aussi brillants et compétents, dans ce lieu emblématique qui réunit l’élite scientifique, littéraire et artistique de notre nation.

En tant que garant de l’indépendance des connaissances, l’Institut de France, souvent appelé à juste titre le « Parlement du monde savant », offre un lieu ouvert où tous les savoirs se croisent, permettant ainsi l’exercice libre de la pensée. À ce titre, l’institut est garant de la protection des libertés et de la nécessité d’intégration,[1] deux attributs d’une bonne gouvernance.

Ces aspects sont, à mes yeux, tout aussi applicables à la gouvernance dans un sens plus large, notamment en ce qui concerne les individus et les États. Et ils revêtent une importance particulière à l’échelle de la gouvernance supranationale, car il y a souvent une tension entre la nécessité d’une intégration plus poussée - de nature à favoriser la prospérité - et les aspirations à une plus grande protection des libertés.

En effet, c’est de cette tension que résultent des systèmes de normes et des institutions, lorsque les États coopèrent de plein gré et façonnent une gouvernance supranationale. Et à mesure que la coopération internationale devient plus intense et complexe, la gouvernance supranationale doit également se renforcer pour la soutenir.

Nous constatons néanmoins qu’au cours des dernières décennies, un déséquilibre s’est instauré entre les pouvoirs conférés à la gouvernance supranationale et sa légitimité aux yeux des citoyens. Cela s’explique en partie par le fait que la gouvernance supranationale, en favorisant l’intégration économique, a aussi contribué à affaiblir sa propre légitimité.

Aujourd’hui, ce déficit de légitimité nous conduit à un tournant où nous devons soit approfondir la gouvernance supranationale, soit accepter son déclin. Cependant, je suis convaincue que nous pouvons trouver un chemin en remplissant trois conditions essentielles.

Tout d’abord, en alignant et en concentrant la gouvernance sur les priorités des citoyens. C’est ce que je désignerai comme la fonction.

Ensuite, en utilisant les bonnes formes de gouvernance pour répondre efficacement aux interrogations des citoyens. C’est ce que j’appellerai la forme.

Enfin, en tentant de remplir la fonction au service des citoyens. Si vous me permettez un anglicisme, j’invoquerai un leadership courageux et responsable.

Le développement de la gouvernance supranationale

Lorsque les États ont des objectifs qu’ils ne peuvent atteindre seuls ou sont confrontés à des défis qui dépassent leurs capacités individuelles, ils sont poussés à coopérer à l’échelle internationale. Cela les amène à accepter des limites à leur autonomie de manière volontaire. Cela peut ainsi passer par un accès réciproque aux marchés pour promouvoir le commerce international ou par l’interdiction concertée de certains produits ou pratiques afin de protéger les biens communs mondiaux.

Mais plus les pays coopèrent à l’échelle internationale, plus les risques associés augmentent. Les États s’exposent à la concurrence déloyale de la part de partenaires commerciaux, aux effets de débordement des marchés financiers d’autres pays et au non-respect des accords visant à protéger les biens communs mondiaux, comme les traités sur l’environnement. C’est pourquoi une gouvernance supranationale est nécessaire pour pallier ces risques et procurer des gains équitables à toutes les parties concernées. En ce sens, la gouvernance consiste à établir les « règles du jeu » à l’avance et à veiller à ce qu’elles soient respectées équitablement par la suite.

Cette gouvernance peut prendre différentes formes, allant de la création d’institutions internationales à l’établissement de règles mondiales en passant par la mise en place d’organismes de normalisation, voire de normes plus informelles. Mais, et c’est là un point essentiel, cette gouvernance est consentie par les États qui se soumettent à des contraintes en contrepartie d’une meilleure réponse à un besoin qu’ils ne pourraient seuls satisfaire.

Toutefois, il existe une corrélation naturelle entre la complexité des interactions entre les États - en particulier en termes d’intégration économique - et les pouvoirs qui doivent être délégués à la gouvernance supranationale pour garantir que ses résultats restent équitables.

Lorsque les efforts de coopération internationale demeurent simples, les pouvoirs confiés à la gouvernance supranationale sont souvent restreints. Par exemple, après la Seconde Guerre mondiale, les accords de Bretton Woods ont vu le jour à l’échelle mondiale, tandis que le marché commun a été établi en Europe. Cependant, ces gouvernances étaient principalement centrées sur la promotion d’un environnement stable pour le commerce des biens intermédiaires, reflétant ainsi la portée limitée de l’intégration économique de l’époque, laquelle était marquée par des contrôles de capitaux, des fixations de taux de change, ainsi que des barrières tarifaires et non-tarifaires élevées pour les services.

Cependant, à mesure que les interactions entre États deviennent plus complexes, il est nécessaire d’approfondir la gouvernance. Prenons l’exemple de l’UE. Pour favoriser la croissance économique, les pays ont décidé, à la fin des années 1980, de faire évoluer le marché commun vers un marché unique englobant les capitaux et les services. Mais un marché unique comporte intrinsèquement plus de risques. Il expose les citoyens à des dangers accrus liés à des produits nuisibles ou à des pratiques de vente abusives dans des juridictions moins réglementées, ainsi qu’à des actions anticoncurrentielles, comme par exemple, les subventions. Les risques de débordements financiers augmentent également.

Il a donc fallu renforcer les pouvoirs des autorités de la concurrence et des régulateurs financiers. C’est ainsi qu’en Europe, des pouvoirs spécifiques ont été conférés à la Commission européenne en matière de concurrence et de commerce extérieur. Bien plus tard, et au prix d’avoir subi les conséquences de son absence lors de la grande crise financière, nous avons fait de même pour la supervision bancaire. Nous avons bien sûr aussi créé une monnaie commune pour éviter que le marché unique ne soit sapé par des dévaluations compétitives.

D’après une étude récente, la capacité de la gouvernance supranationale à établir des lignes directrices et à interpréter des normes a augmenté d’environ 50 % au cours de cette période[2]. Cela a entraîné un processus auto-réalisant, une plus grande intégration économique menant à une gouvernance approfondie, ce qui a conduit à un regain d’intégration économique - c’est ce que nous avons appelé la mondialisation.

Les bénéfices en furent nombreux : dans une étude portant sur 147 pays, il a été observé que chaque point supplémentaire de mesures de la mondialisation a était associé à une augmentation de 0,3 % du taux de croissance sur cinq ans pour ces pays, les pays à revenu faible et moyen en bénéficiant davantage.[3] Des centaines de millions de personnes ont pu sortir de la pauvreté dans les marchés émergents. L’Europe en a également bénéficié : entre 2000 et 2017, les emplois liés aux exportations européennes vers le reste du monde ont augmenté de deux tiers, atteignant 36 millions.[4]

Les tensions inhérentes à la gouvernance supranationale

Mais à l’époque, nous n’avions pas vraiment conscience de la tension inhérente à ce processus. Le théoricien des relations internationales Michael Zürn[5] l’a bien compris en proposant un cadre conceptuel dans lequel les pouvoirs croissants de la gouvernance supranationale entraînent un manque de légitimité, et conduisent finalement à des conflits.

Toutes les formes de gouvernance ont besoin de légitimité, c’est-à-dire de la perception que les pouvoirs sont exercés à bon escient. Mais la gouvernance supranationale ne peut tirer sa légitimité des mêmes sources que les autorités nationales, telles que les élections ou les referendums. En réalité, sa légitimité est fondée sur l’expertise et l’impartialité.

L’expertise peut conférer une légitimité si les organismes supranationaux sont perçus non seulement comme compétents, mais aussi comme seuls capables de produire un cadre pour une prospérité durable en vertu d’une perspective supranationale que les gouvernements nationaux n’ont pas.

De même, l’impartialité peut être un facteur de légitimité si la gouvernance supranationale est considérée comme nécessaire pour faire respecter les règles du jeu et statuer équitablement entre tous les membres, faibles ou forts - ce que les gouvernements nationaux ne peuvent pas faire non plus.

De cette manière, la gouvernance supranationale a été perçue comme légitime sur certaines périodes prolongées. Par exemple, après la Seconde Guerre mondiale, le soutien de l’opinion publique était très favorable, renforcé par le douloureux souvenir des coûts de la non-coopération.

En 1952, un sondage a posé la question suivante : « En général, êtes-vous favorable ou opposé aux efforts d’unification de l’Europe de l’Ouest ? » Les résultats ont révélé que 82 % des Allemands de l’Ouest, 78 % des Britanniques et 63 % des Français étaient favorables à cette idée.[6]

Mais en comparaison avec les sources de légitimité démocratique, ces sources sont plutôt fragiles, car elles peuvent être affaiblies par des crises majeures ou des changements dans la dynamique du pouvoir. La gouvernance supranationale, en permettant une intégration économique plus poussée, favorise cette fragilité - comme nous avons pu le voir au cours des quinze dernières années.

Tout d’abord, nous avons été témoins de la grande crise financière, suivie de la crise de la zone euro, qui ont toutes deux entraîné des mouvements volatils de capitaux au-delà des frontières. Ces événements ont remis en question l’idée selon laquelle des marchés libres régulés par des organismes supranationaux étaient essentiels à une prospérité durable, une défiance résumée de manière saisissante par la déclaration de Michael Gove, « nous en avons assez des experts ».

Les deux crises ont également fait éclater la bulle du crédit qui avait alimenté notre croissance au début des années 2000, révélant les inégalités croissantes engendrées par la mondialisation. L’écart des revenus entre les pays de l’OCDE a atteint des niveaux sans précédent au cours des cinquante dernières années,[7] exposant les limites du recours à l’endettement pour masquer ces disparités. Cette prise de conscience a également ébranlé la légitimité fondée sur l’expertise.

En même temps, la gouvernance supranationale a également souffert de ses succès que sont l’essor impressionnant de la richesse et le développement de l’influence internationale des pays émergents. Ces nouvelles puissances, en particulier la Chine, ont légitimement exigé une juste représentation, devenant moins enclines à suivre la gouvernance des autres.

Cela a conduit à la remise en question de l’impartialité de la gouvernance supranationale, sous deux angles. D’une part, les puissances émergentes estimaient que les organes mondiaux favorisaient trop les intérêts de leurs principaux actionnaires et étaient trop réticents au changement. D’autre part, les anciennes puissances estimaient que les nouvelles n’avaient pas l’intention de jouer franc jeu. Elles ont donc considéré les règles, les institutions et les normes de la gouvernance supranationale comme inadéquates.

Et alors que l’économie mondiale continuait de croître, le changement climatique s’accélérait en coulisses, les différents accords internationaux ayant peu d’impact sur les émissions mondiales de carbone. Cela a suggéré que même sur des questions d’intérêt commun évident, la gouvernance supranationale souffrait de lacunes.

Ainsi, cette situation a conduit à une contestation diffuse et généralisée, différents groupes cherchant à influencer la gouvernance supranationale en fonction de leurs intérêts. C’est ce qui caractérise notre époque : une fragmentation de l’ordre mondial, des blocages dans de nombreuses instances internationales, l’émergence de partis populistes et la formation de groupes d’États créant de nouveaux accords mieux adaptés à leurs intérêts.

Y a-t-il un moyen d’enrayer ce mouvement ?

Il est indispensable que nous nous y efforcions, car la gouvernance supranationale est une condition nécessaire au maintien de la coopération internationale. Nous ne pourrons préserver les multiples avantages de cette coopération si nous laissons s’effriter tout ce que nous avons accompli.

Mais la gouvernance supranationale doit retrouver sa légitimité. Et puisqu’elle ne peut s’appuyer sur la légitimité démocratique, la seule façon de la restaurer est de répondre aux défis qu’elle a en partie contribué à créer, et qui ont miné ses prétentions à l’expertise et à l’impartialité : à savoir l’insécurité économique, l’insécurité climatique et les tensions géopolitiques.

Permettez-moi d’évoquer trois pistes de réponse : la fonction, la forme et le leadership.

Les trois conditions du renforcement

La fonction

Commençons par la fonction. Pour que la gouvernance supranationale prospère, elle doit proposer des solutions dans les domaines où les citoyens se sentent aujourd’hui les plus menacés. Sinon, il devient logique de mettre en place de nouvelles barrières et de tourner le dos à la coopération internationale.

En Europe, nous avons déjà observé ce phénomène. Par exemple, lorsque la crise financière mondiale et la crise de l’euro ont mis en lumière les vulnérabilités du secteur bancaire, certains ont voulu faire reculer l’intégration. Mais nous avons collectivement réagi en faisant de la supervision bancaire une compétence européenne et en remédiant aux problèmes soulevés.

De la même manière, lorsque l’Europe s’est retrouvée face à un nouveau choc extérieur, sous forme d’une pandémie, nous avons réagi en mettant en place le programme NextGenerationEU (NGEU). Ce plan et ce fond de relance européens ont permis d’écarter la menace d’un impact profondément inégal du virus sur les économies européennes - en particulier celles qui dépendent le plus du tourisme -, ce qui aurait pu créer une nouvelle faille dans notre Union.

Dans les deux cas, plutôt que d’inverser l’intégration économique et financière, nous avons renforcé notre gouvernance pour rendre l’intégration plus sûre. Nous avons veillé à ce que les compétences de l’UE correspondent aux attentes des Européens. Ce faisant, nous avons clairement renforcé sa légitimité. Aujourd’hui, le soutien à l’euro et à l’UE s’élève respectivement à 79 % et 65 %.[8]

Est-il possible d’y arriver face aux défis d’aujourd’hui ? La bonne nouvelle, c’est que beaucoup des domaines qui suscitent le plus d’insécurité chez les citoyens sont justement ceux pour lesquels ils souhaitent une gouvernance européenne renforcée.

En effet, près de deux tiers des Européens sont convaincus que l’UE représente un bastion de stabilité dans un monde en crise. Près de neuf Européens sur dix partagent l’opinion que la lutte contre le changement climatique peut bénéficier à leur santé et à leur bien-être, et une proportion équivalente exprime son soutien aux objectifs environnementaux du pacte vert pour l’Europe.[9]

Les citoyens se rendent compte que, même si certains de ces problèmes découlent en partie d’un monde plus mondialisé, la réponse n’est pas le repli sur soi. Au contraire, nous devons agir à un niveau qui nous permette de les traiter le plus efficacement possible. Et cela passe par l’approfondissement de la gouvernance.

À l’avenir, il sera essentiel de cultiver cet esprit de collaboration pour faire face à de nouveaux défis dans des domaines d’intérêt commun tels que la sécurité, la défense, le climat ou les grandes migrations.

La forme

Le deuxième aspect est la forme. La forme doit suivre la fonction, créant ainsi les conditions permettant à la gouvernance supranationale de relever les défis auxquels les citoyens accordent la priorité.

Cela signifie choisir judicieusement un mode de gouvernance adapté.

La gouvernance multilatérale peut s’articuler autour de règles décentralisées ou d’institutions centralisées. Bien que les règles semblent constituer une solution attrayante en raison de leur acceptation aisée et du maintien du pouvoir au niveau national, elles rendent en réalité plus difficile l’atteinte des objectifs de gouvernance.

Les règles sont en effet soumises à un compromis entre crédibilité et flexibilité. Elles peuvent être soit rigides pour être crédibles, soit varier selon les circonstances pour être flexibles. Cependant, il est quasiment impossible de créer une règle qui parvienne à concilier les deux. Bien souvent, les tentatives de trouver un compromis échouent à satisfaire l’une ou l’autre exigence.

Prenons l’exemple du Mécanisme de change européen (MCE), mis en place dans les années 1970 afin de stabiliser les taux de change entre les pays européens. Au départ, il fonctionnait selon des règles strictes permettant une variation maximale de 2,25 % par rapport aux taux centraux. Toutefois, dans les années 1980, l’augmentation des flux de capitaux et la spéculation ont mis sérieusement à l’épreuve ce système. Ainsi, il a dû être rendu plus flexible.

Mais le système a dû être assoupli à tel point qu’il a perdu toute crédibilité en tant que point de référence pour les taux de change, avec des marges de fluctuation atteignant 15 % en 1993. Cet échec a clairement démontré la supériorité d’une approche institutionnelle de l’intégration monétaire européenne, qui a alors conduit à l’adoption de l’euro.

Cette supériorité tenait à ce que les institutions ne sont pas confrontées à ce compromis. Lorsqu’elles ont un mandat clairement défini et qu’elles le respectent, elles gagnent en crédibilité. En disposant d’une autonomie opérationnelle, elles peuvent aussi faire preuve de flexibilité et s’adapter à l’évolution des circonstances au fur et à mesure qu’elles se présentent.

Permettez-moi d’illustrer cela en prenant l’exemple de la BCE, que votre président connaît bien et qu’il a lui-même développé avec talent.

Depuis sa création, la BCE a dû faire face à des défis imprévus dans l’exécution de son mandat. Mais le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne associe notre mandat de stabilité des prix à un pouvoir discrétionnaire sur les outils que nous pouvons utiliser pour y parvenir. Cela nous a permis de mettre en place des instruments de politique non conventionnels lors de la crise financière, lors de la récession comme lors de la pandémie, pour veiller à ce que l’inflation reste conforme à notre objectif. Ces situations complexes auraient été difficiles à gérer si nous nous étions strictement conformés à des règles fixes ou si nous nous étions limités à des instruments conventionnels.

Toutefois, je ne suis pas naïve quant aux difficultés que pose le passage des règles aux institutions. Je reconnais que créer ou réformer des institutions requiert un capital politique considérable, ce qui constitue un défi dans des circonstances politiques spécifiques ou en cas de blocage. Mais cela ne saurait justifier l’inaction, car le courage politique peut parfois triompher de la résignation et car il existe d’autres formes de gouvernance, telles que les institutions informelles, qui peuvent contribuer à relever les défis mondiaux auxquels nous sommes confrontés.

Puisque je m’exprime devant vous en pleine COP 28, considérons le cas concret de la finance climatique, où de nombreuses initiatives ont émergé sous l’égide du G20, offrant ainsi un puissant volet d’action collective après la crise. Des initiatives telles que le TCFD (Task Force on Climate-related Financial Disclosures) ont été mises en place, créant un cadre incitatif qui encourage les entreprises à divulguer des informations sur les risques financiers associés au changement climatique dans leurs opérations économiques et financières. De même, la Glasgow Financial Alliance for Net Zero, une coalition mondiale regroupant des institutions financières de premier plan, s’est engagée à accélérer la décarbonisation de l’économie. Enfin le NGFS (Network for Greening the Financial System), groupe composé des banques centrales soucieuses d’accorder leur action à l’impératif de lutte contre le changement climatique, fournit des scénarios et des analyses partagés entre tous ses membres.

Bien que ces actions soient volontaires, leur adoption massive par des milliers d’organisations peut générer des incitations puissantes, offrant des avantages tels que la rapidité, l’efficacité et l’adaptabilité.

Et permettez-moi d’ajouter : il est crucial que de telles initiatives soient portées par des acteurs animés par une sincère préoccupation pour le bien commun, car si ce n’est pas le cas, d’autres entités cherchant à réaliser des bénéfices ou à accroître leur part de marché pourraient rapidement combler le vide, parfois avec des motifs moins clairs.

Le leadership

La troisième et dernière piste que je souhaite évoquer est le leadership. Même si nous donnons à la gouvernance la bonne fonction et l’exécutons sous la bonne forme, il ne s’ensuit pas qu’elle produira le bon résultat. Les institutions ont besoin d’un leadership courageux et responsable pour prendre de bonnes décisions.

Face à des défis mondiaux complexes et incertains, le « courage d’agir »[10] comme l’a dit Ben Bernanke, est primordial. Les dirigeants doivent faire preuve d’une détermination inébranlable à mobiliser tous les moyens à leur disposition, conformément à leur mission, pour atteindre leurs objectifs.

Cette vérité, j’en ai fait l’expérience tout au long de ma carrière, que ce soit en tant que ministre des finances, que directrice générale du FMI ou aujourd’hui, à la tête de la BCE. Les crises, insidieuses et imprévisibles, sont toutes différentes les unes des autres. Il n’y pas de manuel sur la parfaite façon d’agir. Mais le temps est toujours compté et la prise de risque inévitable en sachant que les résultats sont fondamentalement incertains.

Plus récemment, nous avons été confrontés à une crise sans précédent avec la pandémie de COVID-19. Les circonstances étaient exceptionnelles, et la mise en place du programme d’achats d’urgence (Pandemic Emergency Purchase Programme, PEPP) de 1 850 milliards d’euros visant à atténuer l’impact de la pandémie sur l’économie a été une réponse exceptionnelle. Mais elle était nécessaire pour lutter contre le risque de déflation, qui aurait pu se produire si nous n’avions pas agi.

Les dirigeants efficaces doivent ainsi accorder aux institutions les ressources nécessaires pour agir, tout en étant responsables de leurs actes. En effet, lorsqu’ils prennent des décisions qui rompent avec les précédentes, les dirigeants doivent avoir en permanence à l’esprit qu’ils devront en rendre compte. Cela les maintient dans les limites de leur mandat, alignés sur l’intérêt public, et les empêche d’être tentés d’aller trop loin.

Ceci s’est manifesté une fois de plus dans l’exemple du PEPP, où nous avons minutieusement préparé la mise en place du programme d’achats d’urgence dans cette optique. Nous avons strictement respecté les critères et les sauvegardes jugés nécessaires par la Cour de justice de l’Union Européenne dans ses arrêts concernant nos actions passées, garantissant ainsi une totale compatibilité avec le traité.

Ainsi le courage et la responsabilité doivent être indissociables pour un leadership que l’on espère efficace.

Conclusion

Permettez-moi de conclure.

La coopération internationale, cette force puissante qui a façonné notre histoire récente, a apporté des bénéfices indéniables, propulsant le monde vers un développement sans précédent générant richesse, accès aux progrès scientifiques et techniques d’un nombre grandissant de pays et érigeant des institutions multilatérales qui ont défini l’ère d’après-guerre.

Cependant, il serait inconscient de négliger les défis qui ont émaillé cette trajectoire. Les inégalités, les crises mondiales non résolues et la perte de légitimité des institutions ont semé le doute dans l’esprit de nos concitoyens.

Cette méfiance s’est cristallisée dans le protectionnisme, le repli sur soi, l’entre soi et la tentation populiste, sapant les fondements de la gouvernance supranationale, donnant lieu à des mouvements politiques cherchant à reprendre plus de contrôle, et à la fragmentation de notre monde en blocs rivaux.

Aujourd’hui, la gouvernance supranationale qui sous-tend la coopération internationale se trouve à un tournant : elle doit choisir entre se renforcer ou se replier, entre un monde visant à la conjonction des différences et à la prospérité de tous, ou le repli vers la non-coopération, voire la confrontation.

Cependant, je discerne un chemin à suivre. Si la gouvernance supranationale peut s’aligner et se concentrer sur les priorités des citoyens, adopter la forme la plus efficace pour atteindre ces priorités et être dirigée avec courage tout en étant tenue responsable, alors elle pourra relever le défi qui se présente à elle.

Toutefois, gardons à l’esprit que toutes les structures de gouvernance supranationales ont émergé dans l’histoire à la suite d’époques marquées par les ravages de la non-coopération voire les conflits ouverts entre les États, lorsque de profondes peurs sévissaient.

En ces moments décisifs, je m’inspire de l’héritage d’une éminente académicienne, à l’Académie française, pionnière de la lutte pour les droits des femmes, Simone Veil.

Lorsqu’elle a gravé sur son épée d’académicienne le chiffre « 78651 », marquant sa déportation à Auschwitz, elle a également choisi d’y inscrire la devise de l’Europe – « Unie dans la diversité. »

N’oublions pas notre passé. Œuvrons ensemble pour un monde plus juste, plus durable et plus prospère. Le choix qui se présente à nous doit être guidé par une vision partagée d’unité, de coopération et de respect mutuel, que méritent les générations futures.

Je vous remercie.

  1. Institut de France, “À propos »

  2. Zürn et. al (2021), “The International Authority Database”, Global Policy, 19 June 2021

  3. Lang, V.F. and Tavares, M.M. (2018), “The Distribution of Gains from Globalization”, IMF Working Papers, No 18/54, International Monetary Fund.

  4. Arto, I., Rueda-Cantuche, J.M., Cazcarro, I., Amores, A.F., Dietzenbacher, E., Victoria Román, M. and Kutlina-Dimitrova, Z. (2018), “EU exports to the world: effects on employment”, European Commission, November.

  5. Zürn, M. (2018), "A Theory of Global Governance: Authority, Legitimacy, and Contestation", Oxford UP

  6. Anderson, C.J. and Hecht, J.D. (2018), “The preference for Europe: Public opinion about European integration since 1952”.

  7. For more information on inequality, see the Organisation for Economic Co-operation and Development’s website.

  8. See the results of the spring 2022 Eurobarometer survey.

  9. See European Commission (2022), “Future of Europe: Europeans see climate change as top challenge for the EU”, press release, 25 January.

  10. Bernanke, B.S. (2015), The Courage to Act: A Memoir of a Crisis and its Aftermath, W. W. Norton & Company, New York.

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