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Christine Lagarde
The President of the European Central Bank
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Entretien avec Le Figaro

Entretien accordé par Christine Lagarde, présidente de la BCE, à Anne Cheyvialle et Florentin Collomp le 28 juillet 2023

30 juillet 2023

LE FIGARO. - En un an, vous avez monté les taux d’intérêt à un niveau record. Arrive-t-on à la fin de ce cycle ?

Christine LAGARDE. – Nous avons couvert beaucoup de terrain et beaucoup avancé dans ce combat contre l’inflation. On se rapproche du but. On ne saura si on est arrivé à ce but - une cible d’inflation à moyen terme de 2% - que grâce aux données économiques et financières. Et nous agirons en fonction de notre analyse de ces données. J’entends dire ici ou là que la dernière hausse de taux aura lieu en septembre. Il y aura peut-être une nouvelle augmentation des taux directeurs ou peut-être une pause. Une pause, quelle qu’en soit la date, en septembre ou plus tard, ne revêtirait pas nécessairement un caractère définitif. Il faut que l’inflation soit durablement ramenée à sa cible. Nous sommes dans un climat d’incertitude et réexaminerons la situation et notre action à chacune de nos réunions successives.

Les taux vont-ils rester élevés longtemps ou pourront-ils baisser dans les mois à venir ?

Les taux d’intérêt directeurs de la BCE seront fixés à des niveaux suffisamment restrictifs, aussi longtemps que nécessaire, pour assurer un retour au plus tôt de l’inflation au niveau de l’objectif de 2 % à moyen terme. Nous sommes déterminés à ramener au plus tôt l’inflation au niveau de notre objectif et, pour ce faire, nous avons besoin d’une politique monétaire suffisamment restrictive, en termes de niveau et de durée.

Continuer à augmenter les taux quand l’économie ralentit ne revient-il pas à aggraver la situation ?

Nous avons comme objectif de faire baisser l’inflation et comme mandat impératif la stabilité des prix à moyen terme. Nécessairement, cela passe par une baisse de l’activité. La solution idéale, ce qu’on appelle un atterrissage en douceur, c’est une baisse modeste de l’activité conjuguée à un recul important de l’inflation. Les chiffres du PIB au deuxième trimestre pour la France, l’Allemagne ou l’Espagne sont plutôt encourageants. Ils confortent notre scénario d’une croissance de 0,9% du PIB de la zone euro cette année.

Comment réagissez-vous aux critiques de dirigeants, comme Giorgia Meloni ou Emmanuel Macron, sur les effets de votre politique monétaire ?

Il faut avoir une peau de crocodile quand on est banquier central. Et il faut rester guidé impérativement par l’objectif de faire diminuer l’inflation en étant le plus explicite possible sur les moyens utilisés et les résultats escomptés. Tous les trimestres, je vais rendre compte de notre action devant le Parlement européen.

L’inflation est-elle en train de revenir sous contrôle ?

L’inflation baisse sans équivoque : nous étions à 10,6% en octobre 2022 et sommes revenus à 5,5% en juin. Elle diminue notamment en raison de la baisse des prix de l’énergie. Et, de toute évidence, la politique monétaire a commencé à produire ses effets pour faire diminuer l’inflation. On le voit dans les chiffres du crédit, à la fois sur les taux d’intérêt – nos concitoyens le savent – et sur les volumes de crédit qui sont en baisse, ainsi que sur la demande de crédit des entreprises. On commence à le voir aussi dans l’économie réelle, dans l’immobilier ou en matière d’investissement. Nous sommes très attentifs à l’inflation ressentie par nos concitoyens et nous regardons aussi très attentivement les mécanismes sous-jacents de l’inflation, pour analyser ce qui est au cœur de la hausse des prix. Aujourd’hui, le secteur des services (restauration, informatique, télécoms, transports...) résiste plus que les autres à notre politique monétaire.

Vous avez dit que les deux tiers de l’inflation en 2022 étaient imputables à la hausse des profits des entreprises : ont-elles abusé ?

Ce que l’on constate, à la différence des crises précédentes, c’est que le choc a été tellement massif, brutal et généralisé, que ça a créé des circonstances dans lesquelles la transmission des coûts vers les consommateurs était relativement facile. Dans d’autres périodes, du fait de la concurrence, un moindre écart entre l’offre et la demande, les entreprises absorbaient une partie des coûts en réduisant leurs marges. Cette fois, les hausses de salaires, à travers un effet de rattrapage, et les augmentations des profits unitaires alimentent l’inflation.

Craignez-vous une spirale entre hausses des prix et des salaires ?

Nous suivons cela de très près, parce que cela aurait un impact majeur sur le secteur des services. Si l’on regarde les anticipations d’inflation, les augmentations de salaires négociées au niveau collectif et au niveau individuel, on n’a pas de signe de risque aggravé d’une spirale prix-salaires-prix. Mais, nos prévisions anticipent que les entreprises absorbent dans leurs marges une partie des hausses des coûts salariaux.

Si les salaires ne rattrapent pas le manque à gagner dû à l’inflation, les ménages seront-ils au bout du compte les grands perdants de ce choc inflationniste ?

Dans des crises similaires, le rattrapage des salaires s’effectue, en général, sur une période de l’ordre de trois années. On peut espérer que ce soit le cas. Il faut ajouter que les pouvoirs publics, dans la plupart des pays de la zone euro, sont venus en soutien, non seulement des entreprises, mais aussi des ménages, par exemple avec les boucliers énergétiques. Il y a eu une forme de prise en charge par l’Etat d’une partie du manque à gagner des ménages et des entreprises.

Ce soutien budgétaire entrave-t-il l’action de la politique monétaire ?

Alors que les prix de l’énergie baissent depuis un an, nous disons qu’il faut retirer le soutien, parfois assez généralisé, qui a été consenti et revenir à des politiques budgétaires moins expansionnistes. En général les gouvernements de la zone euro, y compris en France, ont commencé à le faire. Et il faut revenir vers une situation de dettes publiques qui soient plus soutenables à l’avenir.

La France, qui s’est beaucoup endettée, fait-elle des efforts suffisants pour réduire son endettement et son déficit ?

Comme beaucoup de pays de la zone euro, la France a pris conscience de la nécessité de restaurer une politique de dépenses publiques conforme à une soutenabilité de sa dette.

Quelle est votre position sur la réforme en cours de négociation des règles budgétaires de la zone euro ?

Nous avons fait à la Commission européenne des recommandations en faveur de règles simplifiées, plus efficaces, qui soient consenties entre les Etats et véritablement appliquées. Nous reconnaissons l’intérêt de règles adaptées aux situations de chaque pays plutôt que d’avoir une jauge unique qui s’applique en toutes circonstances. Le délai évoqué de trajectoires de désendettement de quatre ans, éventuellement étendu à sept ans, nous paraît long. Par ailleurs, nous recommandons la création d’une capacité budgétaire commune à l’échelle européenne pour faire face à des dépenses permettant de répondre à des défis communs, militaires ou climatiques par exemple. C’est une proposition controversée mais cela nous paraît aller dans la logique d’une union monétaire qui devrait aussi présenter des éléments d’union budgétaire.

Y a-t-il un problème de dette dans la zone euro ? Pourrait-on se retrouver face à des situations comme on en a connues il y a dix ans ?

Si les Etats se fixent des règles du jeu et les respectent, il n’y a aucune raison pour que ce genre de question se présente.

Le risque de crise financière s’éloigne-t-il ?

La situation des banques de la zone euro s’est considérablement renforcée depuis la crise financière de 2008. Les ratios de capitaux propres sont nettement plus élevés. Lorsque le mécanisme de surveillance unique de la zone euro a annoncé la semaine dernière qu’il demandait aux banques de lui fournir des états hebdomadaires de leurs ratios de liquidité, on tire tout simplement les enseignements de ce qui s’est passé au printemps avec le Crédit Suisse et dans certains établissements américains. Cet épisode a amené tous les superviseurs et toute la communauté financière à réexaminer les mesures de risques.

Quels sont les risques majeurs qui pourraient faire déraper l’économie ?

Le risque majeur c’est la situation géopolitique. Même dans une situation stable, avec des politiques économiques vertueuses, un dérapage politique ou géopolitique crée de la volatilité et peut avoir un impact sur les marchés. Tout nouveau choc, pétrolier, sur les prix de l’alimentation ou dû à une accélération de la crise climatique porte des risques potentiels. J’ai été souvent critiquée pour avoir évoqué les risques climatiques, dont on me disait qu’ils n’existaient qu’à long terme. Je suis triste que la réalité nous rattrape, mais c’est la réalité, on le voit aujourd’hui. La diminution des récoltes, qui entraîne une augmentation des prix, par exemple de l’huile d’olive ou du riz, pousse certains pays, normalement exportateurs, comme l’Inde, à prendre des mesures protectionnistes. Le phénomène d’El Nino ou du Gulf Stream plus tard, risquent d’avoir des conséquences sur les prix alimentaires.

On dit que Nicolas Sarkozy aurait conseillé à Emmanuel Macron de vous nommer première ministre : vous préférez Francfort à Matignon ?

J’ai tant à faire. J’ai une mission et j’ai un objectif que j’ai bien l’intention d’atteindre.

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